Roman Signer (CH)

«Peut-être ai-je un concept différent de la sculpture. Il s'est graduellement développé au cours de mes interventions. Je me considère comme un sculpteur. Les problèmes sont toujours liés à l'espace, aux événements dans l'espace, aux processus temporels». RS

Parce qu'il aime jouer avec le feu, qu'il fait exploser des tables et des valises ou qu'il tire au pistolet dans des barils d'eau et envoie des ballons à travers des vallées, Roman Signer arrive toujours à nous captiver. Par les mises en scènes qu'il crée, il réussit dès le début de chaque action à nous maintenir dans le suspense de leur déroulement. Des mèches brûlent, des liquides se répandent, ou des hélicoptères volent. Le spectacle commence. Pourtant Signer est là, tel un fonctionnaire: il met en place les éléments, exécute son action, et s'en va. En fait ses actions qui font du bruit et impressionnent ne se veulent pas spectaculaires. Au contraire, elles sont comme des évidences du dérisoire et de l'ironie.

Biographie

né en 1938, à Appenzell, vit à Saint-Gall.

Commence sa vie professionnelle comme dessinateur-architecte jusqu'en 1966, puis entre à la Kunstgewerbeschule de Zurich et depuis 1974 est professeur à la Schule für Gestalt de Lucerne. Sa première exposition date de 1973. Installations, performances, actions suivent au grand nombre en Suisse et en Europe.

A propos de...

Texte de Konrad Bitterli, conservateur du musée d'Art de St Gall
«Evénements sculptés—Roman Signer » Parkett, no 45, 1995

Un individu vêtu d'une combinaison ignifuge et d'un casque intégral se penche à l'équerre sur un fût, tout en actionnant du pied une amorce de mèche. Une violente explosion s'ensuit, projetant en l'air de la peinture blanche, maculant la visière du casque et la combinaison et dérobant sa vision à l'individu. Un rituel énigmatique, absurde, un aveuglement de soi destructeur? Il s'agit de l'une des interventions de l'artiste Roman Signer.

Galerie de portraits (1993), ainsi s'intitule le travail résultant de l'arrangement de quatre fûts semblables. Les projections de peinture ont séché depuis longtemps. Aux murs, encadrés, sont suspendus des portraits en noir blanc de l'artiste, photographié après chacune des explosions. Les reliques de l'intervention se sont solidifiées en une sculpture persistante, l'intervention anodine d'un instant s'est figée dans une image terrifiante, le portrait dépouillé de son visage. Un geste impétueux qui transforme l'idée d'une galerie d'antiques portraits bouffés aux mites en un urgent « monument du moment», en une métaphore contemporaine.

Intervention et sculpture, dynamique et statique ne sont pas des moments antagonistes dans l'oeuvre de Roman Signer, mais plutôt différents états d'une même structure; une structure avec un potentiel, celui de la probabilité d'un changement futur, énergétique; cette structure est une transformation qui rappelle l'éphémère de la forme; elle est un détritus, trace d'événements passés. La forme sculptée dans l'oeuvre de Signer, l'objet statique dans l'espace, est étendue — liquéfiée — pour inclure la dimension du temps. La mise en évidence des processus temporels est un élément directeur d'un concept de la sculpture, qui rappelle les positions artistiques des années soixante et septante. L'interpénétration du temps et l'espace et la dématérialisation de l'oeuvre (du matériau artistique) en des processus temporels, caractéristiques de ces traditions, ont fondamentalement changé l'ensemble de l'organisation de la sculpture. Roman Signer renouvelle ces traditions, en définissant, en plus de l'objet statique, l'instant présent comme un processus sculptural.

L'oeuvre de Roman Signer du début des années septante débute avec une visualisation de phénomènes naturels, décrits avec une méticulosité presque scientifique. Sa recherche artistique, consacrée aux principes fondamentaux de l'art plastique, s'est concentrée sur la nature immanente des forces, sur le potentiel énergétique des éléments de notre environnement naturel — tels que le sable, la pierre ou l'eau. Ainsi, les petits entonnoirs dechamp de pluie (1975, Regenfeld) collectent les précipitations dans de minces tiges de métal, qui pressent chacun vers le haut un flotteur en bois et l'entonnoir. Placée à l'extérieur, l'oeuvre prend l'aspect d'un instrument de mesure amusant, qui met en évidence le changement consécutif à l'exercice des forces naturelles au cours du temps. La force de la pluie et de façon générale les forces de la nature ne sont pas réduites à des formes normalisées de mesures ou à d'abstraits vecteurs d'énergie, mais se manifestent plutôt dans leur matérialité physique (concrète). Dans l'espace du musée, les mêmes phénomènes sont précisément perceptibles en tant que manifestations potentielles d'une construction artistique expérimentale. En plus de ces travaux qui étendent la dimension du temps, Signer a également conçu des structures de l'instant, à l'aide de mèches et d'explosions, comme dans croix fumante (1975, Rauchkreuz) oucolonne d'eau (1976, Wassersäule). Le choix explicitement restreint de matériaux, toujours réutilisés — en plus de l'eau, du sable ou de la roche, également des ballons, tables, tabourets, fûts, etc. —, ainsi que la mise en évidence des potentiels d'énergie sont des éléments caractéristiques communs aux premiers travaux de Signer. Ces éléments sont essentiels à l'évolution de son oeuvre. La nature est à la fois son matériau et son partenaire dans le processus de création: «Je laisse de nombreux objets inachevés, dans l'optique que la nature fasse le reste, qu'elle se mêle d'une façon ou d'une autre à l'oeuvre et s'y manifeste. (...) Je joue dans et avec la nature».

Signer a conservé un enregistrement de toutes ses sculptures éphémères sur film et vidéo, de sorte que ces médias constituent un aspect important de son activité artistique. Ce qui a commencé comme une documentation filmée des structures d'espace-temps s'est développé au début des années quatre-vingts comme un acte artistique indépendant et des interventions dans lesquelles l'artiste apparaît comme un acteur. Il se soumet lui-même aux forces naturelles déchaînées par ses actions. Cette suite logique «devant l'objectif» de sa démarche renforce l'aspect du processus dans son travail, par rapport aux autres états de ses oeuvres. Dans ces interventions — Signer les appelle «événements», le potentiel est condensé dans le moment de l'explosion, le passé se coagule dans l'instant éclaté, l'amusement devient existentiel et la vie se manifeste dans sa confrontation avec la poussée élémentaire et menaçante des forces de la nature. L'artiste lui-même diagnostique cette provocation des forces violentes, cette confrontation immédiate avec le danger «presque comme une dépendance. D'une façon ou d'une autre, je dois faire cette expérience, traverser ce tunnel, traverser le danger, passer par le chas de l'aiguille»

L'exposition directe au danger, associée à des expériences concrètes telle que la mort d'un ami lors de leur pratique commune du kayak, ont conféré à l'oeuvre de Roman Signer au début des années quatre-vingts une grande densité et un caractère existentiel. Ce n'est nulle part aussi explicite que dans l'important groupe d'oeuvres «kayak», métaphores sculptées du chemin de la vie et de la mort, que dans galerie de portraits mentionné plus haut, ainsi que dans son oeuvre majeure action avec une mèche (1989, Aktion mit einer Zündschnur); cette sculpture silencieuse du temps et de l'espace n'est pas seulement une concrétisation dramatique du processus du départ, elle est également une prise de congé métaphorique de son lieu de naissance et du passé, à la suite de la mort de sa mère.

L'oeuvre de Roman Signer, dans son choix précis d'objets imprégnés de son expérience personnelle, dans ses sculptures qui explosent les dimensions du temps et de l'espace, combine sa réflexion plastique en cours et sa vie effective subjective. Son oeuvre émerge à la frontière entre la sculpture contemporaine et le symbole existentiel. L'artiste les condense en métaphores relationnelles, pour former des emblèmes de l'existence embrouillée des êtres humains à la fin du vingtième siècle».

Toutes les citations sont extraites des conversations de l'artiste avec Lutz Tittel, du catalogue Treffpunkt Bodensee, Städt. Bodensee Museum, Friedriechshafen, 1984, pp. 83—93.

En plus de sculptures, interventions, films et vidéos, Roman Signer a également produit une oeuvre de dessins. Cf. Konrad Bitterli Ò Grundlagen skulpturalen Denkens Ó dans le catalogue Roman Signer Skulptur, Kunstmuseum St Gall, 1993, pp. 36—60.

Le même catalogue contient un répertoire complet de l'oeuvre de Signer jusqu'en 1993.

(traduction Olivier Lange et Liliane Hodel) Roman Signer (CH)

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