Passage de Philippe BOOTZ


Passage est structuré en trois phases, composées chacune de plusieurs séquences. La première phase est multimédia, la seconde plus hypertextuelle et interactive, et la troisième est générée.

Passage tient tout autant de la rencontre que du parcours initiatique. Il s'agit d'un parcours commun entre un auteur et un lecteur, chacun sculptant le texte du poignet. Les choix réalisés par le lecteur dans la seconde phase sont en effet utilisés par le programme pour élaborer la troisième phase. Cette phase n'est d'ailleurs pas une décalque de la volonté du lecteur, mais une réponse de l'auteur aux choix du lecteur. Le texte suppose donc que toutes les séquences sont lues par le même lecteur selon un acte cohérent.

Passage est un poème à lecture unique. Son fonctionnement, fondé sur l'irréversibilité, est au fond incompatible avec une présentation publique. La plupart des textes qui le composent sont destinés à n'être lus qu'une seule fois, ils ne servent qu'à fabriquer la phase finale dont la dernière séquence est permanente. Ainsi, en fin de compte, cette séquence, moulée par le lecteur lors de la phase interactive centrale, constituera le texte-à-voir accessible à la lecture. Objet d'une coopération, il possédera une histoire pour qui l'a établi et non pour les autres. Ses lecteurs ne seront pas tous équivalents, et cette différence de statut entre les lecteurs n'est pas du type spectateur/instrument comme on la rencontre fréquemment dans les arts électroniques. Ce fonctionnement, fondamental, ne sera réalisé que dans la version, plus complète, qui sera éditée dans le CDROM du numéro 10 de la revue alire vers le mois d'octobre.

Mais Passage est aussi, dans le point de vue de l'auteur, le passage de la suprématie du texte à celle de l'oeuvre (considérée comme l'ensemble des textes écrits par un auteur dans sa vie). Cette transition s'est effectuée dans le temps ou plutôt s'effectue encore dans le temps. La version actuelle, non définitive, fait quelques 30 MO et la seule phase interactive centrale, extrèmement courte, a nécessité l'écriture d'environ 5000 lignes de code (son listing fait 98 pages). On comprend qu'une telle quantité de travail et de matériaux fasse plus que ce qui est visible à l'écran. Le projet écrit par l'auteur à travers cette masse programmée ne peut pas se réduire au texte vu par le lecteur sur écran. Notamment, tous les programmes constituant Passage communiquent entre eux de diverses manières, même si leurs parties visibles ne sont exécutées qu'une fois. Les modalités de cette communication sont des éléments structurels des textes-écrits par l'auteur ; ils n'appartiennent ni au temps ni à l'espace. Une des conséquences est que les outils mis en place dans Passage rendent techniquement possible la totale dépendance de l'ensemble des poèmes qui seront écrits ultérieurement. Ainsi toute action d'un lecteur dans un texte quelconque pourra orienter de façon irréversible et cohérente l'ensemble des textes-à-voir proposés à sa lecture, que les poèmes qui les génèrent aient été réalisés par l'auteur 10 ans après celui dans lequel agit le lecteur ou 20 ans auparavant. Dans cette optique, c'est l'intégralité de l'oeuvre d'un auteur, conçue comme la totalité de sa production, qui peut "répondre" au lecteur. En ce qui me concerne, Passage est le premier élément de cette "oeuvre verrouillée" qui contiendra vraisemblablement l'intégralité des productions futures et dont l'élaboration pourra durer toute une vie.

Passage a déjà pris cinq ans et a nécessité une compréhension en profondeur des propriétés de ces textes fondés sur la notion de processus et qui ne peuvent plus être abordés en termes d'objets. Mais finalement, dans l'optique proposée, nul besoin de se presser. Je pense même qu'il est inutile d'envisager un jour une écriture "définitive" d'un tel poème.

Philippe BOOTZ, avril 1996


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Page crée le 22 mai 1996.
Mise à jour le 23 mai 1996. / Ambroise.B

















































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